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Esprit Prospectif
10 août 2020

Internet et Culture font-ils bon ménage en Afrique ?

 

internet-culture. Cf. https://killacodes.com/what-is-internet-culture-2/

Par Jean-Luc MULYANGA

 

  1. La présente analyse cherche à décrypter la forme de relation qu’entretiennent l’Internet et la Culture, dans un contexte africain. Par Internet, on entend le réseau informatique mondial accessible au public, qui favorise la communication interpersonnelle à distance. Quant à la Culture, c’est la façon de vivre et de penser propre à un peuple donné. Bref, la Culture est le mode de vie d’un peuple ou d’un ensemble de peuples à une époque déterminée. Si l’Internet favorise la communication entre personnes, il devient donc un mode de penser et d’agir des individus comme l’est aussi la Culture[1]. Mais alors, dans un contexte africain, les deux font-ils bon ménage ?
  2. En termes ramassés, l’Africain se définit comme un être-avec-autrui. Les rapports entre Autrui et Soi sont au rendez-vous dans la littérature africaine. L’Altérité et le Vivre-ensemble couronnent la vie quotidienne de chaque Africain. Grâce à la Culture et à la tradition, les Africains tiennent à « vivre-les-uns-avec-les-autres » et non à « vivre-les-uns-à-côté-des-autres »[2].Cela est pour eux, une manière de valoriser la communauté et de décrier l’individualisme caractéristique qui tue la société ainsi que l’altérité[3].
  3. En vivant-les-uns-avec-les-autres, les Africains développent au mieux une économie relationnelle. Cette économie accorde aux Africains la permission de vivre sans pour autant faire de l’argent la condition de possibilité de vivre en société[4]. En effet, l’économie relationnelle ne met pas au centre de la prestation des services et des échanges une quelconque valeur numéraire ou monétaire, mais les relations humaines et les affinités. Cette réalité qui jalonne le quotidien des Africains exprime, de la belle des manières, leur Culture. C’est ce qui arrive, par exemple, lorsqu’un ménage qui n’a pas assez de nourriture ou des possibilités de lier les deux bouts du mois, recourt soit au voisinage, soit à la famille élargie pour avoir une aide bien souvent non remboursable. Ou encore, le cas d’une famille qui, suite à une raison ou une autre, ne sait pas s’acquitter à temps des frais de scolarité de leurs enfants et qui demande au chef d’établissement une dérogation de s’acquitter à une échéance fixée de commun accord. Et encore, en pareil moment de crise sanitaire avec ses éclaboussures économico-sociales, cette économie fait vivre bien des Africains. Cette économie est toute la synthèse de la Culture africaine. C’est tout un mode d’exister qui permet de partager les joies, les bonheurs, les souffrances ainsi que les peines au-delà de toute sorte de calcul capitaliste[5]. Cette économie qualitative (relationnelle) est subordonnée non pas à l’accumulation du revenu, mais à des finalités sociales, culturelles et civilisationnelles[6].
  4. Dans une Afrique traversée par la question éthique, le vivre-ensemble est à théoriser puis à construire par-delà les égoïsmes à travers un contrat social. Les Africains doivent continuer à chanter la fraternité même quand une crise relationnelle surgit, afin d’éviter de devenir des loups pour les autres (Cf. le homo homini lupus de Thomas Hobbes). En Afrique, « Autrui » c’est ma part d’humanité. Et je ne peux vivre sans cette part (sans autrui, sans l’autre)[7].
  5. Qu’en est-il de l’Internet ? Cet autre mode de vie, dans le contexte africain, qui est utilisé abusivement et qui devient nocif à la Culture africaine ? Précédemment, avons-nous affirmer que l’Internet et la Culture étaient un même type de mode de vie d’un peuple. Cependant, il se remarque une « sociabilité africaine métamorphosée » à cause de l’Internet. Les réseaux sociaux dont l’Internet est constitué, ont créé une nouvelle manière de vivre, de communiquer et de se mettre en relation. Ce sont des espaces de rencontre facile et favorable. Ces réseaux constituent, pour la majorité, une opportunité saisissable de dialogue, d’échange entre les personnes, et donne accès à l’information et à la connaissance[8].
  6. La communication par les réseaux sociaux semble nous éloigner de plus en plus de « l’ontologie de l’être » qui se dévoile par la parole. Le discours oral est la transgression de « l’incommunicabilité monadique »[9]. Actuellement, partout dans le monde, les médias sont considérés comme le « Quatrième Pouvoir ». C’est dans le rapport entre les médias et la formation de l’opinion publique que l’on rencontre la métaphore du « Quatrième Pouvoir »[10]. Les médias agissent sur ce que l’on appelle « le climat d’opinions ou l’opinion publique ». Les médias deviennent comme la politique de Nicolas Machiavel, celle consistant à susciter les passions. Sigmund Freud, ne va-t-il pas dire que c’est l’inconscient qui conduit le psychisme humain ?
  7. Les médias, considérés comme « Quatrième Pouvoir », ne cessent d’entrer en concurrence avec les « trois pouvoirs classiques » à savoir : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. De vastes portions de l’humanité, si pas toute l’humanité, y sont plongées de manière ordinaire et continuelle. De ce fait, il ne s’agit plus seulement d’utiliser des instruments de communication, mais de vivre dans une culture largement numérisée, qui influence profondément les notions de temps et d’espace, la perception de soi, des autres et du monde, la façon de communiquer, d’apprendre, de s’informer et d’entrer en relation avec les autres[11].
  8. Comme toute réalité humaine, ces réseaux comportent des limites et des carences. Il n’est pas sain de confondre la communication avec le contact purement virtuel. D’autant plus que le monde numérique est aussi un espace de solitude, de manipulation, d’exploitation et de violence, jusqu’au cas extrême du dark web, du deepfake et autres. Les médias numériques peuvent exposer au risque de dépendance, d’isolement et de perte progressive de contact avec la réalité concrète, entravant ainsi le développement d’authentiques relations interpersonnelles. Ainsi, de nouvelles formes de violence se diffusent à travers le social media, comme le cyber bizutage ; le web est aussi un canal de diffusion de la pornographie et d’exploitation des personnes à des fins sexuelles ou par le biais des jeux de hasard[12]. Ces réseaux sociaux, ne manquent pas de faciliter la diffusion de fausses informations et de fausses nouvelles. Ils fomentent, par ce fait, les préjugés et la haine. Sans oublier que la prolifération des fake news est à la une sur ces réseaux. Qui plus est, la réputation des personnes, honorables, est mise en danger par divers procès sommaires online[13].
  9. L’usage de l’Internet, en Afrique, est si inquiétant qu’il écarte des hommes d’autres hommes. Nos amis de Facebook, sont-ils de véritables amis[14]? Les liens virtuels ne génèrent, souvent, que de la solitude. L’usage inquiétant de l’Internet, dans l’espace afrocongolais, fait disparaître le sens du social dans le virtuel. Il est évident que les liens tissés sur les réseaux sociaux ne sont que vitrine, vraisemblance et facticité. L’usage de l’Internet casse l’Altérité dans laquelle l’Africain était plongé.
  10. Aujourd’hui, notre sentiment d’humanité passe par la virtualité. L’immersion dans le monde virtuel a favorisé une sorte de “migration numérique”, c’est-à-dire un éloignement de la famille ainsi que des valeurs culturelles, ancestrales, sociales, traditionnelles et religieuses, qui conduit beaucoup de personnes dans un monde de solitude et d’auto-invention, à tel point qu’elles font l’expérience d’un déracinement même si elles demeurent physiquement au même endroit. L’Internet semble détruire le tissu social, en lieu et place de le véhiculer vers d’autres.
  11. Faut-il s’accrocher à l’Internet et/ou à la Culture afin de vivre en Afrique ? L’Internet, ne devrait-il pas être adapté ? L’Africain ne serait-il pas acteur et victime d’une crise de Culture ? Bref, Internet et Culture font-ils bon ménage en Afrique ?
  12. Que chacun prenne, donc, part au repas pendant qu’il est encore chaud[15] !

 

 



[1] En effet, la Culture est plus ou moins synonyme de mode de vie d’un peuple, de mœurs, d’usages, de coutume ou de tradition. C’est tout ce qui détermine la façon de penser et d’agir des individus.

[2] Cf. José Vilaplana Blasco (Mgr) : « Les défis de la mission dans l’Europe d’aujourd’hui », in L’Avenir de l’activité missionnaire « Ad gentes ». Perspectives pour le XXe siècles. Les Actes du Congrès International de Missiologie, tenu à Kinshasa du 11 au 17 juillet 2005.

[3] En Afrique, vivre en marge de la communauté est pire que la mort.

[4] Lire à ce propos C. Mukadi Ilunga : « (Re)penser la question de la pauvreté dans l’espace afrocongolais », in K.Y. Yantūmbi & B. Ngoy Fiama : (Re)penser la pauvreté : la R.D. Congo à l’horizon 2050 (Argumentaction. Revue transdisciplinaire, n° 03, Vol. II), Éditions Kyamy, Lubumbashi, 2020, pp. 69-70.

[5] Cf. Ibidem

[6] Cf. F. Sarr : Afrotopia, Ed. Philippe Rey, Paris, 2016., p. 65.

[7] Nous pensons ici à L’UBUNTU. Ce mot mot « Ubuntu » provient du concept zoulou « Umuntu ngumuntu Ngabantu ». Ce qui signifie « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes ». Quelqu’un d’Ubuntu est ouvert et disponible pour les autres et vit pour les autres.

[8] Cf. François (Pape) : Christus vivit. Exhortation Apostolique post-synodale, du 25 mars 2019, n°87.  

[9] Cf. P. Ricoeur : Discours et communication, L’Herne, Paris, 2005.

[10] Expression employée pour la toute première fois par Edmond Burke, homme politique et écrivain britannique pour condamner en 1790 la révolution française. Et depuis lors, cette expression a rendu l’action des médias plus qu’intéressante.

[11] Cf. Ibidem, n°86.

[12] Cf. Ibidem, n°88.

[13] Cf. Ibidem, n°89.

[14] Il est séduisant de remarquer que « les amis » sur Facebook se fondent sur le principe de la quantité et non de la qualité. « Tu as combien d’amis sur Facebook ? », est souvent la question de nos jours.  

[15] À noter que la « neutralité est une forme de lâcheté », affirme Me Jacques Mukonga Sefu du Barreau de Lubumbashi. 

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Commentaires
B
Il est admis que internet ne rapproche pas autant qu'on le croit. Dans un certain sens, il nous éloigne plus qu'il ne nous rassemble. Car, en effet, la tendance est de s'intéresser aux plus éloignés et parfois ou souvent aux inconnus qu'aux plus proches dans le milieu physique. <br /> <br /> Mais Internet est-il coupable ? L'essentiel à noter selon moi c'est que l'Internet n'est coupable de rien. C'est un couteau à double tranchant, certes, mais tout est dans la manière.<br /> <br /> Quels sont vos choix d'usage ?<br /> <br /> Si vous êtes loin de vos frères aujourd'hui, c'est le choix que vous avez fait. C'est donc vous-mêmes, d'une certaine manière, qui tirez sur votre culture, si on estime qu'elle était ou est aussi bonne que cela.<br /> <br /> Avis personnel !
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