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Esprit Prospectif
29 avril 2021

Le machiavélisme religieux en Afrique : Réalité ou Illusion ?

 

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Par Jean-Luc MULYANGA

 

Résumé 

Dans certaines parties de l’Afrique, certains « leaders religieux » usent du machiavélisme – comme art de marier l’humain à l’inhumain, le juste à l’injuste, le bon au mauvais, le légal à l’illégal, le licite à l’illicite – pour recruter tout en endoctrinant leurs ouailles dans un but non pas salvateur mais pour des intérêts privés. Le « machiavélisme religieux », réalité pour certains ou illusion pour d’autres, nous semble une idéologie, parmi tant d’autres, qui nous permet de lire et de comprendre les actions spirituelles et religieuses dans l’espace africain. 

 

Introduction

Partant d’une analyse[1] critique, notre parcours réflexif sur le « machiavélisme religieux » entend accuser les actions malsaines, tactiques et stratégies auxquelles certains « leaders religieux » recourent dans l’exercice d’encadrement spirituel, en contexte africain. Car, ces techniques les obligent de se vêtir tantôt du masque de la loi (la nature humaine), tantôt de celui de la bête (la nature animale) comme le conseille Nicolas Machiavel aux princes[2]. Pour ce faire, nous nous laisserons conduire par certaines questions : Qu’entend-t-on par le « machiavélisme religieux » ? Le « machiavélisme religieux » comme idéologie en Afrique, est-elle une réalité ou une illusion ? De ces questions, trois moments constitueront l’architecture de notre propos : (1) une approche sémantique du « machiavélisme religieux » ; (2) le « machiavélisme religieux » comme réalité, pour certains ; (3) et le « machiavélisme religieux » comme illusion, pour d’autres. 

 

 I. La quiddité du machiavélisme religieux 

En Afrique, il se remarque que certains « leaders religieux » ou « chefs spirituels » profitent de la religion pour assouvir leurs diverses passions. Ils font de la religion une arme de servitude de la conscience critique et rationnelle des Africains. Ces leaders versent souvent dans des célébrations interminables qui enivrent les Africains du concret et les bercent d’espérances trompeuses en l’action d’un dieu faiseur des miracles et des prodiges, comme si une vie « chrétienne » ou « croyante » de l’Africain n’existerait, parfaitement, sans miracles en sa faveur[3].  C’est même à cause d’une telle perversité, dont usent ces « leaders religieux », que la religion perd son sens et son bien être en contexte africain.  

In fine, le « machiavélisme religieux » devient – d’après notre analyse – cette pratique inspirée de la théorie de Machiavel (le machiavélisme) dont se servent certains « leaders religieux » non avec l’idée d’amener les âmes au salut éternel mais celle de pêcher les âmes à eux. Ils instrumentalisent et façonnent, donc, les Saintes Écritures à leur guise. Usant de la loi pour paraître crédibles, de la ruse pour fausser l’interprétation biblique et de la force pour mieux endoctriner leurs ouailles. Ainsi, les églises deviennent le théâtre où se joue un spectacle mettant en scène d’une part ces « leaders religieux », et d’autre part, leurs adeptes.  

 

 II. Machiavélisme religieux en Afrique : une réalité ?

Loin de flatter une catégorie des maîtres spirituels œuvrant dans l’espace africain, nous reconnaissons, félicitons et encourageons l’infime partie des honnêtes pasteurs dont le service salvateur et plausible ne peut souffrir de remise en cause. Et, devant le sceptre de « machiavélisme religieux », ces honnêtes pasteurs tiennent mordicus à « arracher les âmes de la gueule du prédateur dévorant qui revêt des formes diverses »[4]. À ce propos, Jésus-Christ ne va-t-il pas dire qu’« il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, qui n’ont pas besoin de repentir » ? (Luc 15, 7).

Puisqu’une réalité, le « machiavélisme religieux » prend croissance et devient un élément de servitude dans l’espace africain. Les « leaders religieux », dans certaines parties de l’Afrique, font réellement de la religion un moyen pour s’enrichir, s’assouvir, se plaire, se détendre, … sans préoccupation aucune du salut des âmes. Ainsi, pour avoir eu à trop sacraliser les « leaders religieux » en oubliant qu’ils ne sont que des instruments fragiles du Christ[5] en Afrique, certains de leurs ouailles ont été bouleversés voire ont perdu la foi, ou ont cessé de la pratiquer, quand ils ont découvert les faiblesses plus qu’humaines chez leurs leaders. 

En Afrique du Sud, c’est le télévangéliste nigérian Timothy Omotoso qui est poursuivi pour les viols d’une trentaine de jeunes adeptes de son église[6]. C’est au Zimbabwe, qu’un pasteur, Robert Martin Gumbura, a écopé de la peine de 50 ans de prison pour avoir abusé de des fidèles[7]. C’est aussi au Ghana qu’un pasteur ghanéen, Paul Nkansah, a violé 5 sœurs « au nom du Saint-Esprit ». Tellement ahurissant, car ledit Pasteur a reconnu les faits[8]. C’est toujours en Afrique, précisément dans le centre du Cameroun, que le pasteur Xavier Etoga a profité de son autorité morale pour abuser d’au moins 10 de ses fidèles. Et pour échapper au lynchage, il a dû fuir à Obala[9]. Au Kenya, un pasteur aurait violé une femme en prétendant chasser des démons[10]. Autant sont les cas, autant sont les pertes de foi et d’âmes en Afrique. Les « leaders religieux » font de la religion une véritable arme de servitude. Ils tuent les âmes, violent, escroquent et abusent des fidèles sans remords aucuns. En tout, grâce et par le machiavélisme, ils jouissent d’une duplicité comportementale qui correspond à deux modes d’agir : le premier qui est le propre des humains et le second, qui est celui des bêtes.

 

III. Machiavélisme religieux en Afrique : une illusion ?

D’après notre constatation, une certaine indigence intellectuelle ou pauvreté rationnelle gagne bien des Africains.  Certains Africains refusent de croire ou acceptent de croire sans raison ni fondement. En effet, l’Afrique a connu une modernisation « ambiguë », suite à la colonisation qui n’a pas occasionné la chute de la foi ou de la religion. L’Afrique a connu un véritable réveil religieux, marqué par un processus de pluralisation. C’est ainsi que, la majorité de croyants africains entendent de la religion une résolution de tous les « problèmes essentiels et pratiques », surtout quand le continent va mal. Pour certains croyants, cette effervescence religieuse est un signe de progrès des libertés fondamentales. Mais pour d’autres, c’est une lecture « marxiste » qu’il sied de faire en considérant cette effervescence comme un signe de détresse, de faiblesse, de paresse, de pauvreté en lieu et place de ceux qui, au lieu de travailler pour subvenir à leurs besoins et de lutter contre les injustices sociales, se réfugient dans la religion, comptant ipso facto sur la providence divine. Ceux-là, font ainsi de la religion un « opium du peuple », « un culte dionysiaque », « un puissant narcotique » administré au peuple misérable et ignorant[11].  Et quand certains « leaders religieux », profitent de ce culte pour enivrer le peuple africain, il est admissible de prendre la religion pour un véhicule vers la servitude ou la pauvreté[12].

 

Conclusion 

Un vice ou une antivaleur qui prend de l’ampleur au sein d’une société, nécessite d’être dénoncée voire éradiquée. C’est un devoir de tout homme de veiller sur sa cité, d’être la voix des sans-voix, la bouche de ceux qui n’ont point de bouche, ou encore le cri de libération des libertés assises au cachot du désespoir[13]. Pour notre cas, nous avons osé accuser les actions malsaines, tactiques et stratégies auxquelles certains « leaders religieux » recourent dans l’exercice d’encadrement spirituel, en contexte africain. Et Pour y parvenir, nous avons structuré notre propos en trois moments. Le premier, a été une approche purement sémantique de ce que nous entendons par « machiavélisme religieux ». Le deuxième a réuni les idées sur le fait que pour certains, le « machiavélisme religieux » est une réalité. Et le troisième, a montré combien cette idéologie (le « machiavélisme religieux ») demeure une illusion pour d’autres dans l’espace africain. 

 

N.B. : Vous pouvez trouver l’intégralité de cet article dans la revue Chiedza [Understanding Africa’s realities through ideology], n° 2, Vol. 22, Harare, Décembre 2020, pp. 81-100.



[1] Nous avouons, ici, que notre analyse dénote d’une méthode inductive ou réductionniste. Car l’Afrique étant très vaste, nous nous sommes limité à quelques données (cas et exemples) sans prétendre épuiser tout le continent. 

[2] Cf. MACHIAVEL N., Le Prince, 1515, XVIII, p. 76, §. 3.  

[3] Cf. MULYANGA LUPINDA J.-L., « De notre pauvreté à notre libération : Une lecture congolaise de l’Exode ». K.Y. YANTÛMBI & B. NGOY FIAMA(Re)penser la pauvreté : la R.D. Congo à l’horizon 2050 (Argumentaction. Revue transdisciplinaire) Volume II, n°3, 2020, Imprimé en R.D.C., pp. 42-43.

[4] ILUNGA MONGA S., Le machiavélisme au service du Gourou, PUL, Likasi, 2013, p. 17. 

[5] En effet, l’apôtre Paul dit : « Ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile, pour que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous » (2 Co 4,7). Les fidèles doivent être instruits sur cet aspect. Les « leaders religieux » ne sont pas des êtres sacro-saints mais sont, comme tout le monde invité à se parfaire du jour au lendemain. 

[11] Cf. MULYANGA LUPINDA J.-L., « De notre pauvreté à notre libération : Une lecture congolaise de l’Exode », pp. 48-49. 

[12] Cf. IDEM, « La religion dans un État : élément de libération ou arme de servitude ? »  http://espritpro.canalblog.com/archives/2020/08/03/38463863.html, page consultée le 14 octobre 2020 à 17h38min. 

[13] Cf. CÉSAIRE A., Cahier d’un retour au pays natal, Présence Africaine, Paris, Imprimé en France, 1947, p. 22.

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