Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Esprit Prospectif
31 août 2020

Notre Afrique hurle de douleur

 

 

Couverture du livre "Le cri de l'homme africain". Cf. https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=2406

 

Première version publiée sur fideleblog (juin 2019)

 

Par Jean-Luc MULYANGA

 

  1. Ce texte analyse les arcanes de la « douleur africaine » à la lumière des idées forces du théologien africain Jean-Marc Ela, dans son œuvre Le cri de l’homme africain (Paris, L’harmattan, 1980).  Il semble que pour mieux découvrir la pensée d’un auteur, il importe de le situer. D’autant plus qu’« on ne peut réfléchir qu’à partir d’un lieu pratique et théorique donné » (Louis Althusser).
  2.  Jean-Marc Ela, né Jean Etoa le 27 septembre 1936 à Ebolowa, chef-lieu de la région du Sud (Cameroun) est mort le 26 décembre 2008 à Vancouver (Canada). Ce prêtre catholique du diocèse d’Ebolowa (Cameroun), est un universitaire reconnu comme sociologue, anthropologue et théologien. Issu d’une famille de la classe moyenne, l’Abbé Jean-Marc Ela pensait que la théologie devait être adaptée aux besoins et croyances locales. Il est donc une figure marquante de la théologie de la libération en Afrique et a laissé une contribution importante pour la sociologie et les sciences sociales africaines. Il a fait ses études à Paris-Sorbonne et Strasbourg. Il est docteur en théologie.
  3. Aux côtés du théologien africain Engelbert Mveng, ils ont assumé à frais nouveau la catégorie de salut comme un don de libération offert par Dieu au peuple africain aux prises avec multiples formes de misère. « L’accueil de Jésus offre à l’Afrique une guérison plus efficace et plus profonde que toute autre »[1]. C’est ainsi que çà et là, des voix se sont levées pour comprendre le message de l’Évangile en Afrique comme un message de libération. En partageant avec leurs frères et sœurs africains, leurs misères et leurs souffrances, ces théologiens africains ont élaboré auprès d’eux une théologie de la libération qui les a conduits à s’opposer à toutes les formes de paupérisation et de domination. Ainsi, contre les stratégies de dominations ces théologiens de « l’école de Yaoundé », teintés d’une marque singulière sur la catégorie de libération, ont proposé des perspectives théologiques de libération à même de faire connaître au peuple Africain que leur salut se trouve entre leurs mains ; qu’ils doivent se donner les moyens pour le conquérir et non de le laisser passer. Notre Afrique hurle de douleurs et a besoin d’être consolée, d’être libérée et de s’assumer comme un continent mature, affranchi et indépendant.
  4. Sur les pas du théologien de la libération (Ela), nous trouvons conquérant de revisiter et d’actualiser le concept d’Exodos (du grec qui veut dire « sortie ») pour notre Afrique. Quand le livre de Deutéronome résume la religion d’Israël, il dit : « Nous étions esclaves de Pharaon en Égypte et YHWH nous a fait sortir d’Égypte par sa main puissante » (Deutéronome 26, 3s). Ainsi pour Israël, toute la Bible n’est rien d’autre que la relecture de l’Exode où le peuple de l’Alliance prend conscience du moment décisif où Dieu l’a véritablement créé. De ce fait, de l’Exode où Dieu avait créé son peuple par la première alliance ; les regards se portent vers l’évènement futur.
  5. Lire l’Exode dans l’Afrique d’aujourd’hui qui « hurle de douleur », c’est aussi, pour les églises chrétiennes, se demander comment articuler l’annonce et l’éducation de la foi, avec les projets qui permettent à des communautés locales de passer de la servitude à la liberté. Car nous le constatons, certains hommes ne tiennent à leur religion que par habitude sans jamais examiner les raisons qui les y attachent, les motifs de leur conduite, le fondement de leurs opinions[2]. Une lecture de l’Exode s’impose aujourd’hui dans les communautés chrétiennes d’Afrique. « Si les opprimés de tous les temps se tournent vers cet évènement primordial pour y puiser une espérance, il nous est impossible de nous comprendre sans reprendre à notre compte cette histoire pour y découvrir que Dieu intervient dans l’aventure humaine de la servitude et de la mort pour libérer l’homme »[3].
  6.  Ce que signifie aujourd’hui le message de l’Exode pour des millions d’Africain placés dans des situations politiques, religieuses, culturelles et morales déconcertantes, est cet espoir de libération qu’apporte l’Évangile de Jésus-Christ. Comme l’apôtre Pierre l’a déclaré dans les Actes (3,6) : nous disons que ce n’est ni d’or, ni d’argent dont l’Afrique a d’abord besoin ; Elle désire se mettre debout comme l’homme de la piscine de Bethesda ; Elle désire avoir confiance en Elle-même, en sa dignité de peuple aimé par son Dieu. C’est donc cette rencontre avec Jésus que les églises d’Afrique doivent offrir aux cœurs meurtris et blessés, en mal de réconciliation et de paix, assoiffés de justice et de libération[4].
  7. En Afrique, toute critique commence à être assimilée à une infraction contre « la sûreté de l’État ». Ela affirme que « Le progrès de la pensée est compromis dans une société où il n’est pas possible de communiquer »[5]. À l’interdiction des réunions où les hommes s’expriment et parlent, s’ajoute l’interdiction des publications (d’informations) jugées subversives. Il se remarque même que toute opposition semble illégale. C’est devenu un crime en Afrique Noire, précisément, de s’opposer à la politique des régimes en place. Même si un Nicolas Machiavel a dit dans Le prince que « les hommes aiment à changer de maitre dans l’espoir d’améliorer leur sort, qu’ils sont premiers à revendiquer leurs droits sans apporter une solution durable ». Mais comment proposer une solution pérenne sans même être entendu ni compris ! La peur de s’exprimer tend à devenir une dimension de la conscience de milliers d’Africains. Il ne manque pas seulement à beaucoup d’Africains une eau potable ou une quantité suffisante de protéines, mais aussi un espace de liberté où l’Africain puisse parler sans entrave et sans risquer de compromettre la situation de sa patrie.
  8. Pour les jeunes Africains, la véritable authenticité s’exprime dans un refus radical et définitif de toute aliénation. Et l’aliénation ici, c’est le moment où l’esprit entre en contact avec ce qui n’est pas lui ; le jeune Africain a la tendance de croire que son bonheur ou sa libération est entre les mains de quelqu’un d’autre. Et c’est cette projection de « l’essence humaine » hors d’elle-même qui constitue la « pure aliénation ». Celle-ci se remarque autant dans la conduite de l’Africain qui se dépossède de tout en vue de posséder l’autre. Il vit la déshumanisation totale pour humaniser un être supérieur à lui. Et même, comme le dit Bénezet Bujo : « l’éthique occidentale qui provient d’une autre philosophie, avec sa notion de la loi naturelle, sa conception de la personne humaine et de la liberté, ne peut pas satisfaire l’homme africain et lui rendre justice » ; ce n’est pas l’extérieur qui doit nous rendre la liberté mais nous-mêmes.
  9. Et, en tout ceci, l’Église en Afrique doit intervenir en faveur du peuple. Elle vit un moment privilégié de l’histoire du salut dans la mesure où elle se donne pour tâche de refaire l’homme et le monde par la force de l’Évangile. La nouvelle génération africaine réclame d’autres signes, non plus tellement des hôpitaux et des cathédrales, mais un Évangile de libération. Nous devons par le témoignage de vie de certains de nos pasteurs, re-découvrir le vrai visage du Christ mort et ressuscité pour nous, pour notre Afrique.  L’Église peut aider la société africaine à sortir des impasses des lendemains de l’indépendance en suscitant chez des hommes au sein des groupes, une forme de résistance active à l’injustice et à l’oppression. Car l’arme la plus importante de l’oppresseur est la mentalité de l’opprimé (Steve Biko). La reconquête de l’initiative apparaît comme une tâche collective de tout un peuple enfermé dans le cercle de la dépendance et de la domination.
  10. En sus, la tache semble urgente de dégager des individualités créatrices, de libérer des chrétiens « ankylosés » par la peur et de développer en eux l’intelligence critique des situations dans lesquelles, au milieu des discours et des bilans mystificateurs, des milliers d’hommes sont affrontés. Nous osons croire que dans les systèmes politiques, qui prédominent en Afrique, l’Église peut être une des favorables institutions capables de parler et de sauver quelque chose de la liberté. Ainsi, à travers l’engagement de ses pasteurs, l’Église doit redevenir la voix de ceux qui n’ont plus de voix : une Église au bon milieu du village africain. Comme le disait certains Pontifes Romains (Cf. Paul VI et Grégoire le Grand), de façon conjointe : « Le discours qui touche le plus le cœur de l’homme est le témoigne de vie. Le monde d’aujourd’hui a plus besoin de témoins que de prédicateurs ».
  11. Il est donc plus que temps de nous lever et de sécher les pleurs, de panser les plaies et de guérir les maux de notre chère Afrique. Parce qu’aussi longtemps que les nouvelles générations africaines, ne seront pas en mesure de remettre en question l’ordre sociopolitique qui s’est installé en Afrique depuis des décennies, tout en prenant le risque de faire les choses autrement, l’Afrique ne pourra pas sortir de la grande nuit (Achille Mbembe).

 

 



[1] BENOIT XVI : Africae Munus. Exhortation apostolique post-synodale sur l’Eglise en Afrique au service de la Réconciliation, de la justice et de la paix, Kinshasa, Médiaspaul, 2011, n°149.    

[2] Lire à ce propos J.-L. Mulyanga Lupinda : "La religion dans un État : arme de servitude ou élément de libération ?" Cf. http://espritpro.canalblog.com/archives/2020/08/03/38463863.html, page consultée le 17 août 2020 à 15h14min. 

[3] J.-M. ELA : Op. Cit. p. 51.  

[4] Cf. BENOIT XVI : Op. Cit., n°149.   

[5] J.-M. ELA : Op. Cit., p. 83.

Publicité
Publicité
Commentaires
Esprit Prospectif
Publicité
Newsletter
43 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 5 300
Esprit Prospectif
  • "Esprit Prospectif", est ce que nous entendons partager sur cette page. En effet, il urge de penser notre demain dès aujourd'hui. Et cela, grâce et par nos pensées qui pensent le Tout-Monde.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Derniers commentaires
Archives
Publicité