Le rôle du philosophe dans la société congolaise

Par Jean-Luc MULYANGA

1. Notre dissertation se place sur la ligne d’un constat dolent, quant au rôle du philosophe dans la société congolaise. À Kinshasa on manque de l’eau et de l’électricité, au Haut-Katanga (Lubumbashi et Likasi) et au Lualaba (Kolwezi) on tue, on viole, on kidnappe, on égorge des humains sans remord aucun et, l’insécurité finit par battre son record en cette année de l’Action (2020), proclamée par le Président Félix Antoine Tshisekedi. Et de tout ce cirque, le philosophe se tait comme tout homme. Lui qui, n’étant point tenu prisonnier de la gangue de « tout le monde », reste indifférent et démissionne de sa charge de veiller sur la Cité. Le cas échéant, de veiller sur la société congolaise. De ce fait, notre réflexion partira de ce qu’est un philosophe pour aboutir à son rôle qui, devenant décadent en cette société congolaise, nécessite un rappel.
2. La tradition occidentale – avec Héraclite du Pont (340 av. J.-C.) – attribue la création du mot « philosophe » à Pythagore (530 av. J.-C.). Celui-ci, ne tenait point à se présenter comme un sage mais simplement comme un « amoureux de la sagesse ». Ainsi, le philosophe n’est pas un sage mais se présente seulement comme un apprenti, un néophyte en sagesse, un amateur en matière de connaissances profondes des conséquences de ses actes et paroles. Bref, la philosophie étant « l’amour de la sagesse », le philosophe devient donc « un amoureux ou un ami de la sagesse » sans être sage.  
3. Dire « philosophie » ou « philosophe », n’a pris de sens classique qu’avec l’apport de Platon lors de sa lutte contre les sophistes[1]. En effet, ceux-ci se prétendaient savants. C’est ainsi que Platon, dira que le philosophe est celui qui « aspire à apprendre ». Car, le dieu seul Zeus est sage. La sagesse, n’étant qu’une expression à employer pour les divinités, ne convient pas aux simples hommes. Ceux-ci sont, essentiellement, « amis de la sagesse ».
4. Pour tout dire, un philosophe est cette « personne qui cherche la vérité et cultive la sagesse », fût-ce le cas de Socrate et Platon, Lucrèce et Épicure, Sénèque et Épictète, vous et moi. Cette dernière incise s’explique en ces termes que, au nom de la vision du monde (la weltanshauüng[2]) « tout le monde est philosophe », de par sa manière de penser le monde en pansant ses plaies[3] ; de penser l’homme et Dieu. Chacun de nous est, intimement, capable de penser le monde, l’homme et Dieu. Ainsi donc, il est philosophe. Et c’est à chacun d’entre nous que s’adresse cet appel dissertatif.
5. Si nous affirmons que tout homme est philosophe de par sa vision du monde, fort est donc de constater une agonie de son rôle dans la société congolaise. La situation macabre qui sévit n’est pas que l’affaire des politiques, des sénateurs, des députés, des gouverneurs, des mouvements citoyens[4], des vieux ou des jeunes, mais de tout le monde. Tout le monde doit se sentir concerné par la vie à genoux de certains filles et fils du Congo – cas récurrents d’insécurité, de viol, de tuerie, de torture –. Puisque donc, tout le monde est philosophe et que tout le monde est concerné dans la gestion de la Cité, Platon dans La République assigne un rôle sociopolitique prépondérant au philosophe. Cette image du philosophe permettait à Platon de le considérer comme l’éclaireur par excellence de la Cité, le médecin de la civilisation (Cf. Friedrich Nietzsche), ou l’oiseau de minerve (Cf. Friedrich Hegel) pour son pays. Tout le monde est appelé à un sursaut d’engagement dans et pour son pays[5].
6. Le philosophe agit sur l’opinion de son temps. Il réfléchit à partir d’un lieu pratique et théorique donné (Cf. Louis Althusser). Il a la mission de conduire son peuple vers la lumière de la raison par laquelle chacun de ses concitoyens sera éclairé, pour construire un monde favorable où règne la paix, la justice, la quiétude, la sécurité, la démocratie, l’entente et l’entraide mutuelle.
7. Il est de l’aspiration de l’homme de vivre en paix et d’organiser un ordre social qui assure le bien-être des concitoyens. De ce fait, tout le monde est appelé à prêter de sa pierre à la construction totale de l’édifice qu’est la République Démocratique du Congo (RDC), notre mère. Cette aspiration, mieux ces rêves ne peuvent se réaliser qu’à condition d’opérer une révolution. Et, faut-il le noter, ce n’est pas une révolution du type militaire qui ne fera qu’aggraver l’instabilité qui sévit déjà socialement, mais une restructuration du système de gestion de la chose publique. Le peuple, aujourd’hui, est confronté à une forme de manipulation au point que les filles et fils du Congo s’en trouvent prisonniers des « mensonges démagogiques ». De la sorte, aussi longtemps que les anciennes générations congolaises, en générale, et les nouvelles, en particulier, ne seront pas en mesure de remettre en question le désordre social, qui s’est installé en RDC depuis un certain temps, tout en prenant le risque de faire les choses autrement, la RDC ne pourra pas sortir de la petite enfance (Cf. Achille Mbembe).
8. Il est temps pour tout le monde (tout philosophe) de s’engager pour sortir le peuple de l’ignorance et lui permettre d’avoir une conscience éveillée et éclairée en même temps sur la gestion de la chose publique. À la suite de Platon, la tâche noble de libérer et d’éduquer un peuple longtemps emprisonné devient de plus en plus urgente. Il est temps de sauver notre Cité afin de lui éviter des dangers futurs. Et cela dès aujourd’hui.
9. Le philosophe est le citoyen à la conscience éclairée par excellence, qui doit s’interroger et entraîner ses concitoyens à s’interroger perpétuellement sur le devenir de la Cité. Ainsi, cette prise de conscience et de réflexion du philosophe sur les faits sociaux est une étape déterminante pour le développement d’une société particulière, en l’occurrence la société congolaise. De ce fait, une telle société ne serait possible que si les rapports sociaux sont régis par des lois constitutionnelles. Bref, que chacun revoie la qualité de son rôle sociopolitique en vue de changer des paradigmes[6] pour un avenir radieux du Congo.

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[1] Lire à ce propos Platon : Le Banquet.

[2] C’est un terme allemand qui se traduit par « conception ou vision du monde ».

[3] Lire à ce propos J.-L. Mulyanga Lupinda : « Oser, penser, agir : trois verbes pour penser le Congo en pansant ses plaies », in K.Y. Yantūmbi & B. Ngoy Fiama : (Re)penser la pauvreté : la R.D. Congo à l’horizon 2050 (Argumentaction. Revue transdisciplinaire, n° 03, Vol. II), Éditions Kyamy, Lubumbashi, 2020, pp. 11-15.

[4] Pensée remarquable aux mouvements citoyens qui inventent, au quotidien, le possible congolais : Lucha (Lutte pour le changement), Filimbi (« sifflet » du Swahili), NOGEC (Nouvelle génération pour l’émergence du Congo), CLC (Comité laïc de coordination), Les Congolais debout, etc.   

[5] Cf. J.-L. Mulyanga Lupinda : « De notre Pauvreté à notre Libération : Une lecture congolaise de l’Exode », in K.Y. Yantūmbi & B. Ngoy Fiama : (Re)penser la pauvreté : la R.D. Congo à l’horizon 2050 (Argumentaction. Revue transdisciplinaire, n° 03, Vol. II), Éditions Kyamy, Lubumbashi, 2020, p. 40.

[6] Cf. K.Y. Yantūmbi : « Discours des misères et misères des discours. Paradoxes, paradigmes et perspectives de la R.D. Congo à l’horizon 2050-60 », in K.Y. Yantūmbi & B. Ngoy Fiama : (Re)penser la pauvreté : la R.D. Congo à l’horizon 2050 (Argumentaction. Revue transdisciplinaire, n° 03, Vol. II), Éditions Kyamy, Lubumbashi, 2020, pp. 101-144.

Comments

[Nathan kangale]

Merci cher Jean-Luc pour cette interpellation adressée au philosophe qui doit d'ores et déjà prendre les choses en mains pour construire un Congo meilleur. Il est évident que le philosophe est fils de son temps et donc, les réalités actuelles nous intéressent de façon inconditionnelle. In fine, nous vous souhaitons la persévérance dans votre élan pour que comme le dirait Gaston Bachelard, la science ait la philosophie qu'elle mérite. Duc in altum.